lundi 10 décembre 2012

Problème de ressources humaines à Singapour: la grève des chinois

Depuis que je suis ici, je me dis qu'il faudrait que je fasse honneur à ma carrière dans les Ressources Humaines, et que j'écrive un (des?) articles sur le droit du travail ici, ou du moins sur les multiples différences... Et puis les idées se succèdent, et je ne voulais pas faire un article soit inintéressant pour mes supers fans, soit sans fond...

Cependant, depuis quelques semaines, l'actualité singapourienne est remuée par les grèves...
L'actualité seulement, car dans la vie quotidienne on ne voit rien...

C'est sûr, même si on défend mordicus nos avancées sociales françaises, on apprécie ici de ne jamais être "importuné" par des grèves: les transports roulent toujours, les musées sont ouverts en permanence, on ne craint pas de ne pas avoir d'avions car les contrôleurs aériens font grèves, les magasins sont ouverts 7 jours sur 7, tout tourne , toujours, tout le temps...

Pour autant, ce fait divers nous fait beaucoup parler... Le lendemain de la fameuse grève des chauffeurs de bus chinois, nous dînions entre blogueurs francophones chez Cotton Bleu (nous sommes près d'une trentaine avec des blogs très variés, ça fait partie de l'article sur les réseaux que je dois rédiger). Et sur une bonne partie de la conversation, nous avons parlé de ce fameux fait divers, et plus largement de droit du travail à Singapour... Comme quoi... ça ne laisse pas indifférent.

Les faits: 

La compagnie de bus nationale singapourienne (SMRT) a dû faire face à une grève de ses chauffeurs chinois qui se plaignaient de n'avoir pas le même salaire que leurs collègues malaisiens ou singapouriens
Les chiffres varient: certains parlent d'une douzaine de chauffeurs, d'autres de 200, le gouvernement singapourien en évoque 34 au final représentant moins de 0,5% du pool des 8000 chauffeurs de bus de la SMRT.
La différence de salaire est quand même conséquente puisqu'il s'agit d'au moins 400$ de différence mensuelle...

Vous pouvez les relire sur le petit journal de Singapour en français: ici et en anglais ici

Les chauffeurs ont été arrêtés dans la matinée et 29 ont été immédiatemment rapatriés en Chine, et 5 sont toujours en prison, car ils n'auraient pas respecté la loi singapourienne qui impose 14 jours de préavis (c'était une grève spontanée) et ici on ne plaisante pas avec la loi. 

La problématique:

Evidemment on peut s'émouvoir que des grévistes soient emprisonnés, même s'ils n'ont pas respecté un préavis.
C'est apparemment une problématique récurrente et le journal de vendredi "The newpaper" rebondissait sur l'affaire en proposant 4 pages sur "les travailleurs chinois qui protestent encore" (tout est dans le ENCORE!). 

Les articles relatent deux nouveaux travailleurs arrêtés pour avoir fait grève en s'installant pendant 9 heures au sommet d'une grue malgré le temps menaçant et même la pluie qui tombe. Les travailleurs chinois auraient apparemment comme petite manie de se faire entendre en protestant soudainement comme ça et en mettant en péril l'ordre civil de Singapour. Certains par le passé ont ainsi été arrêtés pour avoir "attentés à leur vie", ou pour avoir "alarmé le public" avec des amendes mirobolantes (de l'ordre de 10 à 25000$ suivant les cas).

Une organisation humanitaire s'occupant des travailleurs pose la bonne question : "Mais pourquoi en sont-ils arrivés à une telle extrémité?"

Pour nous, cela nous paraît évident: même travail, même salaire (sauf pour les femmes en France, mais ne faisons pas de politique). Que l'on soit chinois, indien, malaisien ou singapourien, cela ne devrait rien changer... Pour autant, à Singapour, il y a de grandes différences salariales suivant leur provenance. Les cadres occidentaux qui bénéficient de packages mirobolants, face à l'immigré indonésien qui travaille sur un chantier sans parfois être payé, ou la helper qui travaille de 7h du matin à 22h 6jours sur 7 dans le meilleur des cas. 
En effet, pourquoi les ouvriers chinois sont montés en haut des grues? 
Simplement parce que comme des milliers de travailleurs pauvres à Singapour, on "oublie" de les payer. Certains se révoltent et on profité de la grève des chauffeurs de bus pour se faire entendre (et au moins gagner le moyen de retourner dans leur pays), d'autres ne savent pas le faire...
Discrimination raciale et non-respect des droits fondamentaux du travail... La Chine s'en est mêlé demandant au gouvernement singapourien de veiller à ce que ces ressortissants ne souffrent ni de discrimination, ni de non-respect de leurs droits fondamentaux (oui ça fait sourire venant d'un pays réputé dans son respect des droits de l'homme!!!). Mr Lim, Secrétaire Général de NTUC (national Trades Union Congress) aurait répondu que c'était hautement inapproprié que les syndicats des autres pays dictent à Singapour ce qu'il serait bon de faire.
Les travailleurs sur les chantiers singapouriens, qui permettent à Singapour d'avoir ce dynamisme, sont payés des misères (j'avais lu des chiffres parlant de 400$ par mois, normalement nourris, logés, blanchis, soins médicaux pris en charge, et rapatriement à la fin du contrat... quand c'est respecté), et les fameux chauffeurs de bus chinois sont payés 1000$ (600€) quand leurs compatriotes malais sont payés 1400$. Le SMIC n'existe pas. Le chômage non plus, les singapouriens savent quitter un emploi aussi peu payés pour rejoindre d'autres domaines. Cette main d'oeuvre à bas-coût c'est votre esthéticienne, le serveur dans votre food court, c'est votre helper ou le constructeur de votre ligne de métro et de votre condo...
Louis, le rédacteur de Paris-Singapore raconte ici comment serait Singapour vidé de ses étrangers... Et oui, car les discriminations deviennent de plus en plus fortes, suite à de nouvelles politiques visant à réduire la dépendance de Singapour vis à vis de ses étrangers... Les singapouriens en effet se trouvent un peu pris en tenaille et un peu trop dépendant à la fois pour la base de leur économie et pour ce qui la tire vers le haut, car les meilleurs postes sont pris par des étrangers occidentaux et les petits boulots qui ne les intéressent pas, mais qui permettent de faire vivre la cité-état, demandent à faire venir de la main d'oeuvre bon marché des pays pauvres environnants. 
Cela dit, rien ne justifie de ne pas payer ces travailleurs immigrés, ni de les payer moins que les autres...
Le Ministère du Travail (le MOM, celui qui nous délivre nos visas) s'engage tout de même à prendre des actions envers les employeurs qui manqueraient au paiement de leur travailleurs.

Quant à la problématique du droit de grève, il est certain que la grève est mal vue à Singapour et elle est quasiment inexistante. Le droit existe puisqu'il faut 14 jours de préavis. Mais comme on peut vous licencier très facilement, je suppose que si les travailleurs ont choisis cette voie pour se faire entendre, c'est que la grève ne leur permettait pas d'être entendu ou d'obtenir une réponse satisfaisante.

Enfin troisième problématique, vous avez bien lu dans les deux articles en français et en anglais, les chauffeurs ont été arrêtés le matin même et mis en prison. Une partie des grévistes a été reconduit gentiment dans leur patrie, et 5 autres sont encore en prison... sans procès bien-sûr... Ironie du sort, quelques pages plus loin dans le journal on parle de la dureté des prisons indonésiennes... Ironie du sort, dans le même journal, la compagnie de bus s'excuse à l'avance de l'augmentation des tarifs de transports (ridicule par rapport à ce qu'on connaît en France), qui lui permettra entres autres de mieux payer ses chauffeurs de bus (enfin peut-être s'ils sont singapouriens)... (et  soyons justes: augmenter leurs services: avec une nouvelle ligne de métro, des nouvelles lignes de bus....)

Le discours singapourien qui tournent autour de ces cas:  il est demandé à ce que les immigrés pauvres fassent l'objet d'un suivi particulier (possibilité de voir des psychologues entre autres) car vivre loin de sa famille, dans un environnement non familier, en étant vu par sa famille resté au pays comme richissime, est déjà très dur . Comment peuvent-ils se défendre s'ils ne sont même pas payés? Par ailleurs il est évoqué aussi les différences culturelles, qui fait qu'un travailleur chinois pense qu'il n'a que ce moyen pour se faire entendre, et peut-être manque-t-il dans les cellules RH des chinois capables de communiquer avec ces travailleurs? (Cela dit la problématique de base reste le salaire et le non-paiement des salaires ou primes, même si les personnes ont les moyens de s'exprimer et de se faire entendre, c'est l'existence même de ces différences qui crèe le malaise...)

Plus intéressant encore... le point de vue chinois, que vous pouvez lire ici (en anglais) qui explique sans mots choisis et sans langue de bois que les singapouriens sont profondément racistes, et bien plus que tous les pays du monde, y compris occidentaux, derrière la façade de la cohabitation multi-ethnique organisée. La chinoise interviewée, explique que du point de vue de chinois, Singapour est souvent vu comme un eldorado, et à première vue les salaires proposés semblent largement plus élevés à ce qu'ils peuvent avoir en Chine, sauf que... c'est un leurre car Singapour a un niveau de vie très élevée. Elle détaille aussi ce sentiment xénophobe, et de supériorité des singapouriens, sur les chinois bien-sûr, mais aussi sur les occidentaux. Mais pour rentrer dans le détail il faudrait faire un autre article sur le blog qui pourrait s'intituler "I have a dream"

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Pour les amateurs de droit, le droit du travail des entreprises est le Factory Act

Nouveaux articles, la suite de l'affaire:
http://www.straitstimes.com/breaking-news/singapore/story/employment-contracts-three-smrt-drivers-charged-instigating-strike-ter

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